il était une fois...

Marie  
Thérèse Eyquem

«Elle était un personnage chevaleresque, un peu grandiloquent que certains pisse-froid trouvaient un peu outré, mais d’énorme vitalité, douée d’une intuition et d’une perspicacité étonnantes. Confiante, généreuse, optimiste, elle faisait partie de ces bons vivants qui sont un vrai spectacle quand ils se mettent à table. Elle fumait la pipe et ce qui la privait c’était de ne pas pouvoir le faire en public ; en haut fonctionnaire scrupuleux… » Yvette Roudy, A Cause d’elles.

Marie Thérèse Eyquem remise légion d'honneur maurice herzog 1963

Une citoyenne testerine

«La Teste est mon pays natal. J’y suis attachée par toutes les fibres de mon être. C’est dans un petit cimetière de sable, dominant la petite ville et le port que dorment ceux de mon sang». M.-T. Eyquem repose au cimetière des Ninots depuis 1978.

Elle naît le 6 septembre 1913 d’un père boulanger, place Thiers, et d’une mère institutrice. Sa sœur aînée, Denise, écrira des romans sentimentaux sous le pseudonyme de Jean de Sécary. Sa famille est implantée à La Teste depuis longtemps mais, en 1924, un évènement malheureux provoque son départ pour la région parisienne. M.-T. Eyquem se lance très tôt, à quatorze ans, dans la vie active, enchaînant de petits métiers alimentaires pendant une dizaine d’années (1927-1937), tout en préparant un baccalauréat philo, une licence de lettres classiques et en apprenant l’anglais, l’italien et l’espagnol, atouts précieux pour sa future carrière internationale

Remise de la légion d’honneur par Maurice HERZOG, 1963

(en 1947, elle préside la Commission féminine de la Fédération Internationale Catholique d’Éducation Physique et Sportive (FICEP) ; de 1961 à 1966, la Fédération Internationale de Sport et d’Education Physique Féminine (FISF) et fait, au cours de sa carrière, de nombreuses conférences dans le monde entier, y compris les Etats-Unis).

Elle reste fidèle à sa région d’origine. En 1959, elle est élue, avec le plus grand nombre de voix, sur la liste d’Aristide Ichard. Elle est très peu présente au Conseil municipal mais s’active à obtenir des subventions pour les équipements communaux (stade, MJC….). Elle s’intéresse de très près aux Prés Salés Ouest. Son rapport sur la question est présenté en séance extraordinaire du Conseil municipal en décembre 1964 : elle en critique la vente, à un prix dérisoire selon elle, à la société Couach. C’est la rupture avec le maire, qui a, semble-t-il, personnellement négocié cette vente. En 1965, elle se présente sur une liste concurrente, celle de Marc Meynié, mais n’est pas élue.

ELLE FAIT DE NOMBREUSES CONFÉRENCES DANS LE MONDE ENTIER

La suffragette du sport féminin Une militante catholique pour le sport féminin

Dès son arrivée à Paris, elle intègre le Rayon Sportif Français (RSF), qui regroupe les sociétés sportives féminines catholiques de la région parisienne. L’année suivante, elle est recrutée comme secrétaire au RSF. En 1934, elle en devient la directrice technique, et enfin la secrétaire générale. Elle forme des cadres, crée des échelons et multiplie par dix le nombre des adhérentes. Fin 1940, sur injonction gouvernementale, la Fédération doit fusionner avec la Fédération de Gymnastique et des Sports des Patronages Français (FGSPF). Elle entre au Comité central et passe secrétaire générale adjointe. Elle n’évolue pas jusqu’à son départ en 1956 ; celui-ci coïncide avec l’arrivée d’un nouveau président, Gilbert Olivier, un catholique très conservateur. Selon J.-M. Jouaret, historien de la Fédération, trois causes peuvent expliquer son éviction : son intelligence et son charisme, son homosexualité et qu’elle soit une catholique engagée dans les instances socialistes. Il lui rend hommage dans un chapitre intitulé «trois femmes d’exception».

 

 

Il lui rend hommage dans un chapitre intitulé « trois femmes d’exception ».

pochette 45 tours presentation candidate législatives Marie Thérèse Eyquem

Dans la haute fonction publique, au service du sport féminin

Après sa réussite au concours de rédacteur, elle intègre le gouvernement en 1939, tout d’abord au sein du Commissariat Général à l’Information, puis au Commissariat Général de l’Education Générale et des Sports (CGEGS), en août 1940, sous la direction de Jean Borotra, comme Directrice des Sports féminins. Paradoxalement, selon l’historien J.-L. Gay-Lescot, l’Etat français poursuit dans ce domaine la politique du Front Populaire, même si l’objectif change ; l’éducation physique est privilégiée pour ses vertus hygiéniques et morales. M.-T. Eyquem développe une doctrine du sport féminin, conçue par des femmes pour des femmes, moins axé sur la compétition, adapté aux «spécificités féminines» : préfère les exercices de souplesse, d’adresse ou qui dé- veloppent la grâce, en particulier l’éducation rythmique

(Irène Popard), la natation, l’athlétisme, les sports collectifs, déconseille la boxe et le football. Elle met en place tout un système de propagande par les films (Sportives, L’Appel du stade), un ouvrage, «La Femme et le Sport», des articles, des conférences et l’organisation de grands rassemblements (en juillet 1942, la «Fête de la sportive», organisée au niveau national, rassemble à Paris 5000 participantes et 20 000 spectateurs). Mais en 1942, au moment de l’arrivée de Laval au gouvernement et du durcissement de l’Occupation allemande, Jean Borotra est remplacé par J. Pascot, autoritaire et moins intéressé par le sport féminin. M.-T. Eyquem est mise à l’écart : elle est nommée sous-chef de bureau. Le nombre de pratiquants, et plus encore de pratiquantes, augmente de manière très importante pendant cette période. C’est sans doute la conséquence de cette politique volontariste mais aussi de la volonté d’oublier les rigueurs du temps. A la Libération, le sport étant considéré comme apolitique, elle est classée dans la catégorie «n’ayant pas à comparaître» par la Commission de l’Épuration. Selon Yvette Roudy, «haute fonctionnaire de l’Etat, elle considérait qu’elle servait l’Etat et pas le régime». C’est ainsi qu’elle participe dans les années 1960 à un gouvernement gaulliste.

Là aussi elle connaît deux périodes : très active sous la direction de Maurice Herzog, elle est mise à l’écart sous son successeur (inspectrice principale chargée des Affaires générales et de la Documentation à la DRJS de Paris). Femme d’action, M.-T. Eyquem est aussi une théoricienne, dont l’essai «La Femme et le Sport» figure encore dans les bibliographies des historiens du sport, et une écrivaine : sa biographie sur Pierre de Coubertin (elle est vice-présidente du Comité Pierre de Coubertin de 1956 à 1978) est couronnée en 1966

Une militante du féminisme et du socialisme

Sa radiation de la FSF est peut-être à l’origine de son engagement féministe. Sans doute aussi l’hostilité du milieu sportif envers les femmes. Certains historiens ne voient pas en elle une féministe, mettant l’accent sur les arguments conservateurs qu’elle donne à la pratique du sport féminin : former de bonnes mères et de bonnes épouses. Selon F. Castan Vicente, «le décalage entre actes et paroles renforce l’hypothèse de l’utilisation d’un double discours», mais elle reconnaît que M.-T. Eyquem «associe de manière complexe jusqu’à la fin de sa vie des idées conservatrices, féministes et socialistes». En 1962, elle intègre le Mouvement Démocratique Féminin (MDF). Avec Colette Audry, elle en assure la présidence jusqu’en 1971. Elle le développe considérablement. Regroupant d’autres femmes venues d’horizons politiques différents, telle Evelyne Sullerot . «En tant que laboratoire d’idées il eut un rôle prépondérant», estime Yvette Roudy

Marie Thérèse Eyquem remise du drapeau jeune du captalat

La revue «Femme du XXe Siècle», qu’anime cette dernière, diffuse ces idées bien au-delà de sa sphère. Son amitié très profonde avec F. Mitterrand y est aussi pour beaucoup, notamment pour l’intégration de la contraception comme thème de campagne lors de l’élection présidentielle de 1965, qui pousse le général de Gaulle à faire adopter une loi (loi Neuwirth, 1967). Le MDF est l’une des sept composantes de la Convention des Institutions Républicaines (CIR), pour le regroupement de la gauche non communiste dans le cadre de la première élection présidentielle au suffrage universel. M.-T. Eyquem assure d’ailleurs le secrétariat général du comité de soutien à la candidature de F. Mitterrand. La mise en ballottage du général de Gaulle est per- çue comme un signe positif par F. Mitterrand qui veut proposer une alternative possible en mettant en place un contre-gouvernement. En 1966. M.-T. Eyquem y est nommée responsable de la promotion féminine, qui ne résiste pas à l’échec aux élections législatives de 1967 (elle-même échoue à Paris, mais dans une circonscription qui n’était pas gagnable). Le MDF adhère, lors du congrès d’Epinay, au nouveau parti socialiste (1971). M.-T. Eyquem exerce au PS de hautes fonctions (de 1975 à 1978, secrétaire nationale en charge des relations avec le monde associatif), mais dans une situation moins favorable que dans la CIR ; Elle se bat pour la place des femmes (politique des quotas dans les listes électorales et les instances dirigeantes). Bien des aspects de la vie de cette personnalité hors du commun ne peuvent être abordés ici ; et beaucoup ont souligné, y compris François Mitterrand, que sa carrière aussi bien professionnelle que politique n’a pas été à la hauteur de son envergure. La commune de La Teste a tenu à l’honorer en donnant son nom à la Maison de la Petite Enfance

REMERCIEMENTS À J.PASSICOUSSET, JC. RIEHL, M. BOYÉ, A. ESPINASSEAU

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