il était une fois...

Les vaches  
Sauvages

Un élément, parmi d’autres, a disparu de notre paysage, du fait de la modernisation (urbanisation, développement de l’automobile, tourisme…), il s’agit des vaches dites «sauvages» de la Grande Montagne. Elles devaient leur existence au droit de pacage (baillette de 1746) dans la forêt usagère – aussi existant sur les prés où l’on voyait encore pacager, à la fin des années 1930, les vaches de M. Brühl.)

Elles étaient la propriété majoritairement de Cazalins, qui pouvaient aussi être résiniers.

Elles étaient la propriété majoritairement de Cazalins, qui pouvaient aussi être résiniers. Parmi d’autres : Henri Villenave, en association (gazaille) avec son beau-père Emile Cazeaux, Jean Daugey, que l’on voyait encore au milieu des années 1950, au Courneau, sac au dos, bâton à la main, son grand béret landais et son chien labrit, deux frères, Paul et Justin Duvignères… Ces bêtes, formant parfois des troupeaux importants (50 à 100 têtes), élevées pour la viande, vivaient en permanence dans la forêt, en liberté. Elles étaient donc assez sauvages. «De caractère belliqueux si elles étaient vraiment provoquées, mais seuls les taureaux pouvaient être dangereux, ou bien les vaches ayant des petits». Partons sur leurs traces avec comme guide Edgard Courtès et son ami Henri dit Riquet Taffard.

La rencontre imprévue

Le Lac de Cazaux offrait à ces troupeaux l’eau et son pourtour, des herbages. C’est là que s’opère, en septembre 1937, la première rencontre d’E. Courtès avec ces vaches dites «rouges» ou «de la Montagne».  Il a alors 15 ans et séjourne chez sa tante, Juliette Mesplède. Il en gardera un vif souvenir : «[…] au détour d’une petite anse, un rideau de pins masquant l’horizon, je fus surpris, apeuré. Devant moi, venant de la forêt, un grand troupeau de vaches sauvages me barraient le chemin. Assoiffé, il venait s’abreuver. J’étais pris, encerclé. Pataugeant entre les aulnes et les roseaux, certaines buvaient avidement, d’autres, surprises, s’arrêtèrent pour me regarder fixement ; d’autres encore, avaient, collés à leurs flancs de charmants « betéts » – « betéres » (veaux – velles) […] Elles allaient et venaient devant moi, tout en balayant (de la queue) leurs robes tachées de souillures. La sueur aidant, elles dégageaient au passage, une odeur sauvage très forte. Elles attiraient ainsi une multitude de parasites qui virevoltaient au dessus de leurs têtes (que) leurs oreilles, en perpétuels mouvements oscillatoires, chassaient […] Au sommet d’un talus sableux, veillant jalousement le troupeau, le chef, un splendide taureau de couleur fauve d’environ quatre ans [ …] Par intermittence, il laboura le sol de ses sabots tranchants, en soufflant bruyamment […] manifestement, je l’incommodais… ». Dans la suite de son récit, il raconte comment, en marchant «sur la pointe des pieds», il réussit à s’en tirer sans mal.

vaches sauvage dune du pilat
vache sauvage 1920 la teste de buch

Ces troupeaux n’étaient rassemblés qu’une à deux fois par an. Les veaux de l’année, les vaches et les taureaux âgés étaient envoyés, pour la plupart, à l’abattoir. Les velles étaient marquées avant d’être renvoyées dans la forêt. Chaque propriétaire avait une marque spécifique (marque au fer rouge ou entaille : entaille à l’oreille en forme de V à l’envers pour les bêtes de M. Villenave). Des cloches de bronze, soutenues autour du cou par des colliers en bois, d’un son différent selon la forme des battails (battants), permettaient aussi de les différencier. De toute façon, les troupeaux ne se mélangeaient pas.

La fête du marquage des vaches

E. Courtès rapporte dans son manuscrit les souvenirs d’Henri Taffard : «Ce que j’ai en mémoire, c’est le moment où Monsieur Villenave les amenait au Bougès […] Plusieurs résiniers de leurs amis venaient à pied ou à cheval et partaient eux aussi à la recherche des vaches. Une fois trouvé, le troupeau, avec ses jeunes, était groupé. Ensuite, on l’obligeait à prendre la direction de la plaine du Bougès. La tâche était difficile, mais très folklorique. On entendait des cris et des coups de sifflets bruyants […] En approchant de la grande Place du Bougès, il fallait faire rentrer le troupeau dans la «Bargueyre» – un enclos formé d’un couloir assez prolongé en forme d’entonnoir – les cris s’amplifiaient, les fouets claquaient, les chiens complètement déchaînés par les commandements de leurs maîtres […] Dans un nuage de sable ces pauvres bêtes étaient comme folles, énervées, elles meuglaient lamentablement en déferlant par le chemin des Broustics que mon frère et moi appelions « le chemin des vaches » […] c’était vraiment impressionnant. Les vaches enfermées, on obligeait celles qui étaient désignées pour le marquage à rentrer dans un petit enclos fermé. C’était assez dangereux et il arrivait que certains résiniers soient bousculés. On leur passait (alors) un lasso autour des cornes à l’aide d’une perche. Ensuite elles étaient amarrées à un poteau placé au milieu […] Après ce travail difficile, fatigant et dangereux, c’était la fête à la cabane, et certains résiniers regagnaient leur cabane avec l’esprit un peu embué… ».

APRÈS CE TRAVAIL DIFFICILE? FATIGUANT ET DANGEREUX? C’ÉTAIT LA FÊTE A LA CABANE

Un anachronisme voué à la disparition

Ces troupeaux posent problème aux autorités et à certaines populations dès le début du XXe siècle. L’Avenir d’Arcachon relate, en février 1917, les exploits du «brave garde» Simon Maubourguet qui «a fait la chasse à cinq vaches sauvages» inquiétant de leur présence «les propriétaires et les promeneurs» aux Abatilles. Dans les années 1920, le Commandant de l’École de Tir de Cazaux se plaint auprès du Maire de la divagation des vaches sur le terrain d’aviation ; en 1934, Jacques Meller fait de même pour les dégâts qu’elles ont occasionnés à l’Hippodrome. Certains Pylatais tolèrent très mal les dégradations dont elles se rendent coupables dans leurs si coûteux jardins (Paul Dupuy (1933), le patron de presse (Le Petit-Parisien), le docteur Rocher…). On apprend qu’elles ont même pénétré
dans une des villas de la célèbre couturière Jeanne Lanvin (1934). Elles provoquent des accidents de circulation (Le Journal d’Arcachon du 23 avril 1960)… Leur cas pose un problème particulier aux autorités. Un inspecteur des Eaux et forêts, M. Simon, dans un rapport daté du janvier 1933, fait le point sur la question :

A la suggestion de M. le Préfet de la Gironde de procéder comme à Soulac par « a destruction au fusil des bêtes errantes», il répond par la négative : En effet le bétail qui pacage dans la forêt usagère n’est pas abandonné, sauf peut-être quelques rares bêtes égarées ; il appartient aux très nombreux usagers de la forêt. Les troupeaux sont la plupart du temps sans gardiens mais ceux-ci les visitent de temps à autre, tous les 3, 4, 5 jours ou même à de plus longs intervalles. Ainsi livré à lui-même, le bétail devient rapidement quasi-sauvage, il est difficile de l’approcher, de l’identifier et surtout de le saisir. Là réside la difficulté de réprimer les délits de pacage par la voie judiciaire et, par suite, de contraindre les propriétaires à une surveillance assidue… ».

lettre plainte vache sauvage 1939

Ainsi livré à lui-même, le bétail devient rapidement quasi-sauvage

Ceci est confirmé par une lettre à M. Duport, garde des bois communaux, en octobre de la même année : «les mesures possibles contre les propriétaires étant très difficilement applicables (les bêtes ne sont pas marquées, sauvages elles ne se laissent pas attraper et donc ne peuvent être mises en fourrière), il avait été demandé à votre prédécesseur d’aménager un parc dans lequel pourraient être enfermés ces animaux. Le bois avait même était commandé en vue de la construction de ce parc à proximité de la place Debray». Sous l’Occupation, les Allemands en tuèrent beaucoup. Certaines sautèrent sur des mines. Après guerre, celles qui restaient furent vendues par leurs propriétaires. C’est ainsi que disparurent les vaches «sauvages» comme avaient disparu en leur temps les petits chevaux landais…

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