il était une fois...

Les cabanes  
tchanquées

Elles sont jumelles, mais uniques. Les cabanes tchanquées, qui flanquent le sud-est de l’île aux Oiseaux, sont devenues des lieux symboliques de l’identité du bassin d’Arcachon, des icônes, au même titre que la dune du Pilat.

Par leur dimension, leur silhouette, leur position en milieu maritime, leurs pilotis (tchanquas = échasses), elles se singularisent des autres cabanes de l’île et des ports. Leur nom (N°53, N°3) rappelle qu’on est ici en domaine public maritime (DPM) et que les cabanes avaient au départ une vocation ostréicole : « en l’absence de motorisation, les cabanes situées à proximité des parcs sont un outil de travail indispensables pour des ostréiculteurs de plus en plus nombreux et spécialisés » (André-Lamat, Mellac, 2014). Elles font l’objet d’une concession, par définition précaire (elles sont attribuées pour sept ans).

 

Depuis 2005, l’Etat en a confié la gestion au Conservatoire du littoral ; ce dernier a passé une convention de gestion du site (20 avril 2005) avec la commune de La Teste-de-Buch. Tout comme l’île, elles sont un lieu de destination privilégié depuis le début du tourisme. Sa fréquentation est devenue massive avec le développement de la plaisance. Mais rien ne semble épuiser le regard que l’on porte sur elles, chargé de toute une mythologie d’enfance, de robinsonnade et de liberté. Elles ont vocation aussi à donner des clés pour interpréter ce territoire si riche, précieux et singulier qu’est l’île :

« L’image des cabanes tchanquées masque (et court-circuite) quelque peu celle de l’île elle-même et il n’est pas étonnant que ce soit les cabanes que les estivants cherchent à aborder. Mais les images des cabanes et de l’île se renforcent et s’appellent néanmoins mutuellement, les cabanes figurant paradoxalement elles-mêmes cette île de nature où se produit la rencontre entre la terre et la mer si spécifique au Bassin d’Arcachon » (André-Lamat, Mellac)

 

La cabane pivert/mozas

 

On trouve mention d’une première cabane, en 1883. Un arrêté préfectoral, donne au marin gujanais Martin Pivert, détenteur d’une concession au lieu-dit « Sourdouille ». L’autorisation de construire une cabane ostréicole sans doute pour la surveillance de ses parcs, à la place du ponton traditionnellement dédié à cet usage : sa galerie constitue un bon poste d’observation pour empêcher les vols d’huîtres.

 

Michel Boyé, fait remarquer que ce choix d’une cabane tchanquée suit le dramatique raz-de-marée des 26 et 27 octobre 1882 qui submerge l’île aux Oiseaux. En 1904, cette concession est transmise à Gabriel Mozas. Les piliers de la cabane sont en bois. Rongés par les vers et les mollusques, sapés par les marées, déjà ébranlés par la tempête de 1927, ils succombent sous les coups de celle de 1943.

Des cabanes à l'histoire singulière...

Parallèlement à leur statut de bien commun, ces cabanes sont aussi porteuses d’histoires familiales et identitaires fortes.

Après la Deuxième Guerre, la donne change avec la motorisation :

« les ostréiculteurs ne souhaitent plus entretenir un outil qui n’est plus indispensable. Les plaisanciers (majoritairement issus du bassin, notamment de La Teste) sont en demande d’espace pour de nouvelles pratiques, liées à la nature, la chasse ou la pêche. (André-Lamat, Mellac)

LA CABANE N°53

 

Mozas ayant transféré son titre à Hubert Longau, cet entrepreneur de bâtiment et élu arcachonnais, se voit attribuer la concession N° 53. Il édifie avec l’aide de ses deux fils et de ses contremaîtres une cabane baptisée en juillet 1948, avant même les finitions. La vie y est agréable mais rudimentaire : pas d’eau potable, récupération des eaux de pluie dans des touques de 800 litres stockées dans le chai, éclairage au gaz. Certains rites sont immuables : ravitaillement tous les deux jours en alimentation, en eau potable (à la jetée de la Pêcherie), en pains de glace de 25 kg chez Cameleyre, petite déjeuner sur la galerie, quel que soit le temps, parties de chasse, aux pieds rouges, à l’alouette, et de pêche (crevettes) sur l’île, on se fréquente entre voisins…

En 1973, Hubert Longau décède. La cabane est concédée à sa sœur, Paulette, jusqu’à son décès. En 2000, le maire de La Teste-de-Buch prend un arrêté de péril au vu de l’état inquiétant des piliers en ciment de la cabane. A la fin de 2002, la gestion de l’île est confiée au Conservatoire du littoral, qui passe avec la mairie des conventions d’occupation (fin 2004) et de gestion (début 2005).  A la suite d’une étude lancée par la commune, il est décidé de retenir la solution de la déconstruction-reconstruction (presque) à l’identique. Le chantier est lancé en octobre 2007 et s’achève en février 2008.

La cabane N°3

Un charpentier-menuisier arcachonnais d’origine suisse (drapeau, couleur des volets), René Landry, obtient  des affaires maritimes une autorisation de construire une « habitation de plaisance » (1945). Il édifie, avec son gendre Claude Bardou,  et futur concessionnaire, cette deuxième cabane à quelque distance des ruines de la première en bois sur des piliers en pin des landes.

 

Laurent Bardou, dernier concessionnaire dresse le portrait de son grand-père et témoigne de la vie à la cabane dans le Festin (N°144) :

« On venait, chaque année, passer l’été. On s’installait avec mes parents. Mon père, en bateau, faisait les allers-retours à Arcachon, pour les courses, acheter le journal, et nous, on restait là des palourdes, des anguilles dans les estey… Contrairement à ce qu’on pourrait penser, on n’a pas le sentiment d’être au bout du monde. On entend beaucoup de bruits de la ville et on voit les lumières d’Arcachon  […] Dans les années 1960 ou 1970, c’était vraiment paisible. Aujourd’hui, ça l’est moins […] on se sent parfois en vitrine »

 

Cette cabane, après consolidation, doit vivre la même aventure de déconstruction reconstruction que la cabane 53 pour écrire une nouvelle page de son histoire.

« À l’époque, Longau et Landry se parlaient d’une cabane à l’autre sans élever la voix. » Jean-Claude Perrière
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