il était une fois...

LA FAMILLE  
LABOUEYRIE

Henri Laboueyrie est né en 1876. Lorsqu’il est mobilisé, en août 1914, il a 38 ans et a déjà effectué 3 ans de service militaire. Il est marié, père de deux enfants, Pierre, né en 1903 et Gabrielle, née en 1911.

La famille habite quartier de Bris. Il est inscrit maritime, ostréiculteur et exploite avec son épouse Marie Courtiau, dite Julia, une ferme et une laiterie. Il passe beaucoup de temps à des travaux de défense dans le secteur de Verdun. Il n’est démobilisé qu’en janvier 1919.

Les correspondances avec sa famille sont quotidiennes

Comme ce 27 juillet 1915 : «Vite un mot à mes amours pour ne pas manquer le courrier et donner des nouvelles à ma petite famille». Henri ne manque pas de remercier sa femme et ses enfants pour leurs lettres et de déplorer les jours où il ne reçoit pas de courrier : «Rien aujourd’hui». Et elles sont investies de beaucoup d’émotion. Dans le choix même des cartes, incarnation du père soldat, de l’épouse et des enfants ou des pensées, qui «soutiennent mon courage et me donne la force d’espérer» (26/09/1915). Dans l’utilisation de tendres petits noms. Henri écrit «Mes trois amours», «aimante trinité». Son épouse, Julia, est «Mérotte», «petite mère», son fils Pierre «Peillot», et sa fille Gabrielle Marie «Mimi», «Miette», «Miquette». Lui-même se donne de petits noms : «Pérot», «Papa Don», «Petit père».
FAMILLE TESTERINE DANS LA GRANDE GUERRE À TRAVERS SA CORRESPONDANCE

«Courage et confiance»

Il faut d’abord rassurer, constamment. Henri est un territorial soit, en théorie, un non combattant, affecté à des travaux de défense notamment, il est souvent à proximité du front. À plusieurs reprises, il est sou- mis aux gaz asphyxiants et aux bombardements.

Il faut aussi combler l’éloignement : «Puisse ma carte vous faire oublier notre séparation». La réaffirmation systématique des sentiments est nécessaire au main- tien de son moral, à combler la douleur d’un père dont les enfants grandissent sans lui : «Je ne vais plus te reconnaître» écrit-il à sa fille. Et la souffrance d’un mari, cruellement conscient que son absence fait reposer sur son épouse tout le poids du maintien à flot de la ferme familiale et de l’éducation des enfants. Cette culpabilité Henri l’exprime à maintes reprises : «La vie est assez monotone et je pense à vous que le travail ne laisse pas une minute», «te surmène pas soit raisonnable» (03/08/1915).

«IL FAUT QUE TU SOIS SÉRIEUX, UN HOMME»

Par ailleurs, il recommande systématiquement à ses «enfants adorés» d’être sages, raisonnables. «Soit bien sage et va à l’école» recommande-t-il à sa cadette. À son fils aîné, sorti bientôt du système scolaire, il demande de grandir vite, d’être un «petit homme» pour suppléer au mieux à l’absence de son père : «Travailles-tu bien […] oublie un peu les jeux» (23/06/1915), «Il faut que tu sois sérieux, un homme», «Aide maman qui est bien seule».

Chacun doit faire son devoir, l’homme sur «le champ d’honneur», même s’il déplore : «On ne nous parle de rien que de faire du pioupiou comme si nous avions vingt ans», la femme, qui doit assurer aussi bien aux champs que dans les devoirs parentaux : «Maman chérie soigne bien ta nichée», les enfants : «Faites-lui oublier mon absence». «Quoique jeune chacun à un devoir» rap- pelle-t-il à son fils, «je compte sur toi et ton bon cœur pour seconder petite mère» (12/08/1915). Il essaie d’exercer son autorité parentale à distance, distribue les compliments : «Maman m’a dit que tu faisais l’écurie comme un homme» (28/05/1915), «Content de toi bien vaillant continue mon petit homme à bien donner la main à Mérotte. Elle en a bien besoin dans tous les soucis de notre travail journalier» (26/12/1916), comme les re- proches : «Il m’est doux lorsqu’une bonne lettre de  Mérotte me dis que tu travailles comme un homme. Cette douceur m’est ravie pour le mo- ment». Henri envoie des cartes à son fils pour sa collection, mais parfois il précise «Souvenir à garder». Il est conscient de vivre un mo- ment exceptionnel et veut en garder la trace.

 

 

 

À sa fille, il envoie des «bons points» : «Puisque tu es sage […] papa t’envoie une jolie carte». Ces échanges épistolaires permettent aussi à Henri de garder un lien avec sa vie d’autrefois et son «pays». Son épouse et ses enfants leur parlent de leurs activités journalières, des travaux effectués. Il réclame parfois l’envoi de la Petite Gironde, notamment pour avoir le récit du «torpillage devant la Gironde par un sous-marin boche» (09/09/1915). Dans une lettre du 28/11/1915, il fait référence à la «belle pêche de Gaston et des Testerins» lue dans le journal.

Dans un autre courrier (14/10/1915), il s’inquiète pour le regain à cause du mauvais temps. Pour contourner la censure et sans doute aussi par nostalgie, il communique souvent en gascon. De son côté, il essaie de témoigner de sa propre vie, loin d’eux : le 08/10/1915, il envoie une carte de Pfet- terhausen : «J’étais dans ce café à midi», le 14/10/1917 : «Nous allons travailler à charger une grande route […] Nous y serons mieux qu’à Verdun». Toujours en octobre 1917 : «Je t’envoie la plus belle demeure du patelin [Gondrecourt]. J’y passe devant pour m’en aller au bois».

En colonie agricole au 7e Génie il écrit le 03/10/1916 : «Voilà 12 jours que je suis en équipe agricole chez Mme Froment René à Fresles par Neuchâtel-en-Bray, Seine inférieure». Soldat, il reste cependant un paysan, il partage sa curiosité avec son épouse : «Regardez sur cette carte [Pierrefitte, Meuse] les outils de travail des champs. Tout est machine. Rien à la main. Je suis tout près de là. A la ferme que j’habite on pense faire 600 sacs de grain […] La surface en culture est de 10 hectares et ils en ont le double»

En [février 1918] : «Je t’envoie la ferme [de Ruyère, à Gondrecourt] que j’ai visitée, exploitation de 145 ha de terres et prés, sans compter le bois, une des plus jolies que j’ai vue jusqu’à présent : 15 chevaux, 45 vaches, personnel, 5h et c’est tout. J’aurais bien voulu y retourner mais le brusque départ a tout changé…».

Outre des lettres quotidiennes, sa famille lui envoie des colis, qui contribuent à améliorer son quotidien : «Maman chérie, aujourd’hui j’ai reçu encore une bonne lettre de toi, merci. Je te renouvelle encore mes remerciements tellement je suis bien dans mes sabots et combien ce cher cadeau de mon Jannot fait des envieux et beaucoup de mes amis en ont vite demandé chez eux» (15/10/1915).

De son côté, il envoie de l’argent, des jouets. À sa fille il promet une belle poupée, même si «l’infirmière de Sermaize» a perdu dans ses pérégrinations. Son fils le remercie pour le porte-plume, sans doute un objet issu de l’artisanat de tranchée, tout comme les bagues dont il parle à plusieurs reprises dans ses lettres.

« MAMAN CHÉRIE, AUJOURD’HUI J’AI REÇU ENCORE UNE BONNE LETTRE DE TOI, MERCI. »

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